Après Une Femme simple et honnête, Arrive un vagabond et La Chute des Princes (et en attendant L'Enjoliveur à paraitre en mai prochain aux éditions Anne Carrière), je termine la série des Goolrick's Weeks avec Féroces.
Cette autobiographie de Robert Goolrick fait l'objet d'une nouvelle publication en format poche aux éditions 10-18.
Une chronique difficile à concevoir mais dont je suis particulièrement fier. Elle disait à peu près ceci...
Féroces de Robert Goolrick est l'une de mes lectures coups de
cœur de 2010. Il sera disponible en format poche aux éditions Pocket le
05 avril prochain. Voici ce que j'en disais lors de sa sortie aux
éditions Anne Carrière.
Qu'on l'ignore ou
qu'on la dénie, qu'on la cache ou qu'on la renie, la vérité poursuivra
sa progression, propulsée par les battements d'un cœur à qui l'on a
volé son innocence et qui parvient à s'accrocher obstinément à la vie.
Robert Goolrick nous raconte son histoire, ses amours, ses ami(e)s, ses emmerdes ... (© Charles Aznavour).
« Maintenant et pour les siècles des siècles »
Rouge. En hébreux, il devient adom, synonyme d'Adam, Adamus, fait de
terre rouge. Le latin du mot rouge, ruber, a donné naissance à rubicon,
du nom du fleuve italien, et à l'expression franchir le rubicon, qui
consiste à atteindre et parfois franchir le point de non retour. Ce
point, l'auteur va le frôler autant de fois qu'il a de cicatrices sur
les bras. Il va danser avec la vie, accorder quelques pas à la mort,
pour finalement parvenir jusqu'à nous à travers ce témoignage
bouleversant.
« Le
sang était d'un rouge riche, plus rouge que je ne m'y attendais. La
couleur était belle. Cramoisie. Comme le rouge à lèvres sombre et laqué
d'une belle femme. Dans la lumière, il miroitait. »
Si Robert Goolrick n'avait pas été romancier, il aurait été peintre. Son roman Féroces
aurait pu être un triptyque. Chaque partie du tableau correspondant à
une partie du livre. Il aurait dépeint dans le premier un cadre idéal et
bourgeois. Il aurait fait ressortir les couleurs vives des parures et
des différentes toilettes de ces dames. Il aurait joué du pinceau pour
donner vie aux panaches de fumée qui s'échappent des cigarettes de ces
messieurs. Dans le deuxième, il aurait commencé à glisser quelques
signes précurseurs du drame à venir, en jouant avec les flammes de
l'âtre de la cheminée et la couleur ambrée du contenu des verres. Il
aurait glissé un peu de rouge çà et là, via des fruits, ou la draperie
d'un rideau.
Et puis au fur et à mesure, on commencerait à voir disparaître quelques
sourires, à remarquer que le ciel est de moins en moins bleu et que les
ombres deviennent de plus en plus menaçantes. Pour finalement arriver
à la dernière partie du triptyque, empreinte de solitude, de terreur,
et de sang. Et puis, on retrouverait un semblant de lumière dans la
signature de l'artiste, venant mettre un point final à l'œuvre. Une
signature qui évoque un écho ...
« Ces choses-là arrivent. »
Et quand on évoque la cruauté morale à l'encontre d'un enfant sans
défense, le sadisme des réflexions dont il va faire l'objet, vient enfin
le temps où les masques tombent. Le fil rouge de cette histoire va se
confondre avec le fil de la lame ensanglantée. Le saignement comme
autant de larmes qui n'auront pas été versées. Comme la libération d'un
trop-plein. Comme une envie qui n'a que quelques minutes, quelques
heures, pour devenir une « enmort ».
« Mange ton sandwich, cow-boy. »
C'est que Robert Goolrick a un don pour exprimer toute la profondeur
d'un mot à l'aspect anodin. Certaines répétitions soulignent en effet le
côté désespéré et hanté du récit. Une impression qui ne quittera pas le
lecteur, même après avoir tourné la dernière page.
On l'accompagne donc dans un récit qui va devenir de plus en plus noir
et sombre, peuplé de petites touches de rouge. De celui de la tomate
dont la chair s'ouvre aussi tendrement que la peau des poignets.
Toujours comme ce peintre qui dissémine quelques touches de vie dans un
récit qu'effleure à de multiples reprises le spectre de la mort.
« L'été de nos suicides »
Et devant ces journées qui s'enchaînent dans une atmosphère de plus en
plus oppressante, on devient d'autant plus sensible à la manière dont
l'auteur va utiliser son panel de couleurs. Couleurs qu'il va exploiter
tantôt pour nous faire rire, nous réchauffer, tantôt pour nous faire
pleurer, nous glacer.
Pour avoir eu l'opportunité de lire une partie du roman dans sa version
originale, j'ai également pris un immense plaisir à découvrir le
travail de précision de Marie de Prémonville sur cette traduction. On
parle du fil de la narration, de la lame de rasoir. On peut aussi parler
du fil sur lequel la traductrice avance durant les pages du livre, pour
trouver le bon équilibre et le bon écho au mot d'origine. L'auteur
utilise avec force certaines banalités du quotidien mais qui prennent
une dimension particulière dans le cœur du récit. C'est là où le talent
de l'adaptatrice rend toute l'élégance du texte sans jamais le galvauder
ou l'amoindrir.
«
Cette histoire, je la raconte car je tente de croire, car je crois de
tout mon cœur, que toujours demeure l'écho obstiné d'une chanson. »
Finalement Féroces, ce sont des mots qui remplacent les maux. Les
maux qui deviennent des mots. Des mots de tête, un témoignage. Et
qu'est-ce qu'un témoignage, si ce n'est un ensemble de maux qui
blessent, des mots qui survivent et que l'on transmet.
Frédéric Fontès, www.4decouv.com
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