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L'essence même du travail d'un écrivain consiste avant toutes choses à trouver le bon mot pour donner le maximum d'informations au lecteur. Mais pas forcément en un maximum de mots. Une fois qu'il a trouver son mot, sa gemme, il va falloir lui trouver le parfait écrin. La phrase dans laquelle il va prendre racine et libérer son énergie, son éloquence, pour prendre son véritable sens.
Il suffit de lire les premières pages des ces Fantômes du Delta pour comprendre qu'Aurélien Molas est de ces écrivains.
Une fois que l'auteur trouve le bon mot, il lui faut trouver les bons personnages et les bons décors. Et cela fonctionne de la même manière : il est aussi important d'avoir un bon personnage que de lui trouver de bons interlocuteurs. Idem pour le décor. Vous pouvez mettre du cœur à l'ouvrage en décrivant une fleur et mettre autant d'ardeur à décrire ce qui entoure cette fleur, pour la faire ressortir, pour la mettre en valeur.*
Et ce principe de la poupée gigogne trouve son apogée dans le titre du roman d'Aurélien Molas. Celles et ceux qui ont lu le roman auront remarqué la présence répétée d'un motif au long du récit : le mot "fantôme" devient mantra, leitmotiv.
Comme je l'avais fait avec les chroniques de l'Homme qui disparait de Jeffery Deaver, L'Anneau de Moebius de Franck Thilliez, La Cicatrice du diable de Laurent Scalèse et Les Ronds dans l'eau d'Hervé Commère, les fantômes d'Aurélien Molas vont me permettre de mettre en avant l'un des talents qui différencie un auteur de romans d'un écrivain.
Ce "fantôme" est très intéressant pour parler du travail de l'écrivain. Ce n'est pas un hasard si l'autre nom pour les désigner est les ombres. Une ombre est liée à une source. Elle devient son négatif, son reflet, sa conscience et ses secrets.
Dans le livre d'Aurélien Molas, les fantômes sont tours à tours des habitants du Delta, des pêcheurs, des paysans, des soldats, des enfants qui meurent de faim, et des peuples exilés de force. Mais ces fantômes incarnent également la conscience des personnages. En faisant le choix de travailler dans l'Humanitaire ou en prenant la tête d'un groupe militaire, certains ont laissé derrière eux leurs vies d'avant. Tous les moyens sont bons pour tenter d'oublier : drogue, alcool, overdose de travail, argent. Mais ils ont beau faire, elle revient les hanter en grignotant le peu de sérénité qu'ils parviennent à gagner de temps en temps.
Et comme je le disais plus haut*, on peut évoquer la présence d'un fantôme aussi bien en décrivant sa consistance éthérée qu'en évoquant les choses qui l'entourent et qui permettent d'en deviner ses contours. Un peu comme le mot dans la phrase. Il y a ce que le mot évoque et autour, la silhouette du mot qui devient phrase.
Et il est là le lien entre Aurélien Molas et ses lecteurs : les mots de l'auteur sont des fantômes, des ombres, qui vont lui permettre de hanter l'imaginaire du lecteur. Avec un immense talent, il choisit avec parcimonie l'outil-mot qui va graver à jamais dans le marbre des pages, l'histoire des fantômes du delta.
Frédéric Fontès
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