Présentation ICI |
Fredo : La narration à la première personne et au présent plonge le lecteur dans un monde en mode caméra embarquée : on ne voit que ce que le personnage voit. Frédéric Haltier aurait fait un bon présentateur pour Paris Dernière ?!
Joe : Oui, immédiateté du mode au présent et du « je » narratif contribuent au tempo du roman, à renforcer l’idée de tourbillon et de paranoïa propres à l’univers du personnage principal. C’est le point de vue absolument subjectif et égocentrique de Frédéric Haltier qui mesure tout à sa propre échelle, où il est perpétuellement au centre : vanité d’un ego en mode négatif.
Fredo : La couverture de Joe G. Pinelli est un de vos choix ou de l’éditeur ? On a tendance à la regarder assez souvent pendant la lecture de Trash Circus. On pense à une sorte de photo instantanée qui fige les passages où le personnage croise son reflet dans la glace.
Joe : Olivier Mau m’a gentiment demandé si je pensais à un illustrateur en particulier pour cette couverture (qui doit impérativement être une illustration dans la collection 7.5). J’ai immédiatement pensé à Joe, à l’univers de certains de ses livres qui me fait penser à Jérôme Bosch ou à Bruegel : vision de décadence et d’enfer. Le choix de l’image par l’éditeur s’est porté sur ce visage halluciné, vision d’effroi au bord du gouffre, l’instant avant la chute.
Fredo : Si Trash Circus n’avait pas été un roman, il aurait fait un excellent scénario de bande dessinée. Vers qui votre choix aurait pu se porter pour l’illustrer ? Vincent Gravé , avec qui vous avez eu l’occasion de collaborer *? Je viens de voir quelques pages du dessinateur sur superpouvoir.com (ICI), il est tout à fait dans l’univers de Trash Circus !
Joe : Oui, ça aurait pu. L’important est que l’illustrateur soit capable de s’emparer de l’histoire, de la faire sienne et de traduire en images ce que suggère le texte au-delà de ce qui est écrit.
* Petites coupures et Fausse route aux éditions Les Enfants Rouges.
Holden : J’ai adoré ce livre et ce qui me surprend le plus, c’est la facilité que vous avez d’écrire autrement, je vous laisse avec un excellent roman noir, et là vous revenez avec des écrits et une trame qui diffèrent totalement de l’autre, alors pourquoi et comment ?
Joe : Depuis « Remington » (2008) et mon « entrée » dans le Noir (mes précédents livres étaient davantage du « gris »), j’essaie à chaque fois d’aborder le genre par un prisme, un angle d’attaque différents. J’espère être toujours moi-même dans mon écriture tout en proposant une variation dans le vaste domaine du roman noir (et non pas le roman policier), aussi bien dans le fond et la forme. « Remington » est plus proche du roman « social », « Lonely Betty » (2010) est un pastiche, « 220 Volts » (2011) un thriller et « Trash Circus » une critique acerbe de notre société. Sans doute, le point commun de ces histoires est-il celui de la tragédie, ce qui constitue le fond de commerce du Noir, finalement.
Holden : La bande son est impeccable, mais les moins de quarante ans vont-ils s’y retrouver ?
Joe : S’ils ne s’y retrouvent pas, ce sera une excellente occasion pour eux d’aller y jeter une oreille…
Holden : Hum, j’ai cru voir du Verlaine ou du Baudelaire, j’ai rêvé ? Il y a d’autres clins d’œil ?
Joe : Une fois Verlaine, une fois Prévert. Frédéric Haltier bousille tout sur son passage, la poésie fait partie du lot. La poésie n’a plus lieu d’être dans son monde où le cynisme, la dope et l’amertume ont tout dévasté.
Holden : La culture télé se fait défoncer dans votre livre, les milieux dédiés à la culture sont-ils tous comme cela ? L’éditions, la musique, l’art , la presse ? C’est du vécu ?
Joe : Trash Circus » sort au bon moment, d’une certaine façon. Claude Guéant nous parle d’une civilisation européenne qui serait supérieure à d’autres, Luc Ferry, renchérit, etc. Eh bien, « Trash Circus » nous montre un certain envers du décor de cette civilisation. Comment peut-on affirmer de telles conneries quand on allume la télé, quand on voit les participants de ces émissions de télé-réalité, quand on voit ce qu’on nous propose ? Nous sommes en pleine décadence, nous sommes tout au bout du point de rupture, nous sommes une société qui a peur de perdre ses privilèges, qui n’ose plus rien, qui veut juste garder ce qu’elle a. Et une société qui a peur ne propose plus rien, n’innove plus, meurt. La télé et le foot sont deux moyens par lesquels on peut aborder le pire de notre belle « civilisation ». Attention, je dis ça sans aucune « haine de soi » (façon subtile de dire le pire tout en légitimant son discours) : je m’aime bien, merci. J’aime les gens en général. J’aime la vie aussi. Tout n’est pas à jeter dans ce qui nous entoure, évidemment, mais nous sommes en train de détruire le meilleur et fonçons droit dans le mur. Et quand Luc Ferry dit qu’il préfère Don Giovanni au tambourin de telle culture, je répondrais qu’aucun Mozart, aucun Opéra, n’arriveront jamais à la cheville d’un James Brown en état de transe. Parce que tout n’est qu’une question de goût, de point de vue, d’émotion. On s’aperçoit très vite que ce genre de débat est stérile, occupe une place inutile. On ne devrait même pas en parler. On ne devrait même pas avoir des responsables politiques ou soi-disant philosophes qui en parlent. Elle est exactement là, la décadence, dans la bêtise.
Holden : Cela reste une putain de charge contre notre société et ceux qui n’arrivent pas à s’en servir ou s’en sortir. La violence comme dernier échappatoire ?
Joe : Frédéric Haltier porte toutes les tares de notre belle société. En ce sens, il est une caricature. Tout ce qui lui reste est la violence, effectivement. Une violence qu’il ne sait pas contre qui ou quoi il doit diriger. Alors, il frappe à l’aveugle, tant le tas, dans les rassemblements hooligans. Il est damné, mauvais. Non pas parce qu’il est né mauvais mais parce qu’il l’est devenu. La violence est toujours fonction d’une époque, d’un lieu, d’une culture, d’une éducation. La violence est l’exutoire d’une frustration. Vous ne trouverez aucun serial killer aimé par ses parents.
Holden : L’avenir livresque ou autre ?
Joe : Vous m’excuserez, mais je n’en parle pas pour ne pas briser l’élan ou la « magie ». Étant à moitié sicilien, je suis bien sûr superstitieux. Ce sera complètement différent encore une fois, ça oui.
Holden : Au fait, vous écrivez comment, quand et où ?
Joe : Sur mon ordinateur portable, le matin, chez moi.
Holden : Une question à nous poser ?
Joe : Plutôt une remarque : c’est bien ce que vous faites. Tous les passionnés comme vous qui animent leur site, font passer les livres et la parole. Vous êtes un espace de liberté et d’expression. Vous êtes importants.
http://www.unwalkers.com/bienvenue-au-cirque-les-tickets-sont-offerts-entretien-avec-m-incardona/
Frédéric Fontès
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire