Tu as changé, me disais-je en avançant vers le nord. Ce qui s'est passé t'a détruit mais le pire, tu dois le reconnaître, aurait été que le destin t'oublie.Blue Jay Way fait partie de ces romans dont il peut s'avérer difficile d'en évoquer la portée en quelques lignes et d'en appréhender la forme et le fond.
Avant d'aller plus loin, je vais revenir sur un point qui me gênait avec d'entamer le livre et qui ne semble pas être bien représentatif de son propos. J'ai lu il y a quelques mois le très bon premier roman d'Olivier Bonnard, Vilaine fille, qui nous plongeait dans les coulisses d'Hollywood à l'occasion d'une enquête policière. Je pensais donc que le roman de Fabrice Colin allait lui aussi jouer la carte de la visite guidée et ce n'était pas forcément ce que j'attendais de cette lecture. Même si le bandeau de l'éditeur et certains avis de lecteurs laissent à penser que Blue Jay Way est une histoire centrée sur les zones d'ombres de la ville Californienne et de ses riches habitants, c'est une erreur de le réduire à cela. Fabrice Colin s'attache longuement à donner corps à ses nombreux personnages sans jamais accorder plus d'importance au décor qu'à son casting. Il aurait pu le faire et cela aurait donné un roman totalement différent.
Blue Jay Way évoque les pactes que certains ont signé avec leurs démons respectifs mais ce n'est pas une histoire ayant pour cadre l'enfer, même si on peut voir de ci de là quelques flammes venir ramper à la rencontre des personnages.
Difficile de se contenter de coller une étiquette à ce roman tant il navigue dans différents genres. Il peut-être tour à tour un roman aux forts accents autobiographiques, un roman noir, un thriller, un roman à suspense, un whodunit, un roman documentaire ou un roman policier. Il peut certainement prendre sa place dans le rayon littérature blanche. Mais au lieu d'évoquer ce que je ne sais pas, je vais tenter de parler de ce qui me semble être le plus évident.
L'un des principales atouts de Blue Jay Way est le charisme qui se dégage de ses personnages et l'aisance du romancier à donner vie à son histoire. En construisant les bases de son roman autours de ses véritables acteurs, il oblige le lecteur à faire des choix semblables à ceux de son héros, Julien. Comme dans une véritable partie d'échecs, chaque acteur à un rôle, chaque personnage une place bien précise.
Et puis la mise en abyme fait son apparition. Les images de Julien et Fabrice Colin se superposent et il devient vite impossible de ne pas se demander en cours de lecture (et surtout à la fin quand un personnage propose à Julien de rentrer en contact avec un ami français, fan de polar, qui projette de fonder sa propre maison d'édition et qui possède des connexions dans le milieu du cinéma. Ceci ne vous rappel rien ?) : mais qui est le véritable conteur de l'histoire, qui pense véritablement être maitre de son destin ? D'ailleurs, le héros ne pose-t-il pas la même question, dans la dernière partie du récit ?
Je voulais parler de cette sempiternelle rengaine sur le rapport réalité/fiction au sein de son œuvre : qu'est-ce qui était vrai, qu'est-ce qui ne l'était pas, pourquoi brouiller les pistes sans cesse. [...]
- Ce qu'il faudrait se demander, c'est ce qui sort grandi de cette confusion : la réalité ou la fiction ?
Plutôt que d'être une fable sur le côté sombre de la vie Hollywoodienne, Blue Jay Way est avant toutes choses une histoire de destins. Peut être là la seule et unique étiquette que l'on peut coller au livre, DESTINS.
Et c'est en cela que je trouve beaucoup de points communs entre ce roman et un autre du même éditeur : Seul le silence de RJ Ellory.
Les deux histoires sont difficiles à ranger dans un genre bien particulier et ils évoquent un personnage plein d'humanité mais empreint d'une grande naïveté, dont le destin n'est plus véritablement entre ses mains. Ils jouent aussi avec le point de vue du narrateur qui va raconter sa vie dans un livre, livre dont on se retrouve finalement à tourner les pages.
Pour revenir sur le destin, cela fait quelques semaines seulement que j'ai entre les mains une biographie écrite par Pierre Brevignon et consacrée à Samuel Barber. Il est, entre autres choses, l'auteur d'un morceau de musique classique devenu mythique depuis qu'il a été joué dans Elephant Man et surtout, dans Platoon. Il s'agit de l'Adagio pour cordes, qui fait officie de sonnerie de téléphone au début du roman de Fabrice Colin. Le morceau est certes très connu du côté des américains mais c'est une nouvelle l'occasion pour moi de mettre en avant les théories de la Fin des mystères de Scarlett Thomas.
C'est le premier roman de l'auteur que je lis, donc je n'ai pas le recul nécessaire pour voir les récurrences dans son œuvre et ses "fixettes". Malgré une fin qui traine un peu en longueur dans ses explications, et une évocation des attentats du 11 septembre de New York un peu trop omniprésente à mon goût, j'ai pris un immense plaisir à découvrir la plume d'un auteur qui maitrise son récit du début à la fin, dans un univers que j'affectionne particulièrement. Il me reste maintenant à franchir le seuil des autres univers qui sont les siens depuis ses débuts, ceux de la fantasy et de la science fiction.
Frédéric Fontès
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